MON HISTOIRE …

MON HISTOIRE … 1024 798 Sylvie Brunner

MON HISTOIRE …

Je suis l’élève AMAGNE MGBA PROSPER ELVIS né le 01er Janvier 2002 à Kousse. A l’âge de 06 ans, je fus inscrit à l’école publique de Kousse en classe de la SIL. Au regard des circonstances qui ne jouaient pas en ma faveur, j’ai repris la SIL car dans cette classe les élèves étaient regroupés en deux catégories ; ceux qu’on  appelait « NYAMA NYAMA » qui devaient forcement reprendre la classe et ceux du côté « fort » destinés à être promus en classe supérieure. L’année où je fus promu pour la catégorie « côté fort » je réussis avec une moyenne de 16. En classe de CMII, mon parcours scolaire fut marqué par le divorce de mes parents. Par la suite mon frère et moi fumes obligés de vivre avec notre père qui était agriculteur de profession.

Je suis d’une famille de trois filles et de deux garçons, au  troisième rang et l’aîné des garçons. En 2013,  j’ai pu obtenir mon concours d’entrée au lycée technique de Ntui, (Région du Centre, département du Mbam et Kim, arrondissement de Ntui).

Mon père a loué une chambre pour ma grande sœur, mon petit frère et moi. En proie à la solitude et aux réalités de la vie, nous étions confrontés à des difficultés pour manger. Ainsi, j’étais dans l’obligation de faire des jobs pour subvenir à nos besoins alimentaires. En fin d’année, j’ai échoué. Mon père fit partir  mes frères chez notre mère à Yaoundé avec son accord alors que moi je suis rentré au village. Mon père m’a inscrit au CES de Kousse où j’ai continué mes études avec succès jusqu’en classe de quatrième.

En 2018,  ma mère m’a réclamé et j’ai continué mes études au collège saint Joseph de Mimboman à Yaoundé.

En 2019, première hécatombe  dans ma vie. Après son obtention du probatoire, ma grande soeur décède des suites d’un avortement. Quelle joie quand elle est venue passer les vacances à Mimboman avec nous. Mais quel malheur de vivre son décès à une semaine de la rentrée scolaire 2018-2019. Pendant ce temps, notre père était hospitalisé à l’hôpital général de Yaoundé. Cela fut un traumatisme pour moi. Ma grande sœur était la personne que j’aimais le plus dans ma famille après mes parents. Après son  décès, la famille de mon père et celle de ma mère se sont séparées. Cette année là, ma mère m’a inscrit au lycée bilingue de Mimboman (Yaoundé).

Au mois d’Avril, de l’année 2019, mon père décède. A la fin de cette année, je fus exclu pour absences non justifiées mais avec une moyenne de 11 en classe de seconde.

Au moment où la pandémie (COVID-19) survient ma mère est licenciée. Avec un mot de ma tante, je suis allé alors chez le petit frère de mon père. Celui-ci travaillait comme charpentier. Je décidai de sortir avec lui chaque matin en mettant ma famille maternelle au courant de mes faits et gestes. J’étais sensé rentrer le weekend à Mimboman mais au bout de quatre jours j’ai reçu un message de mon petit frère disant : « Tantine m’a mis dehors parce que grand-mère a perdu ses quatre bâtons de manioc…et comme tu as choisi de rester là bas, tu rentres aussi chercher tes choses ».

Ce message m’a troublé et je l’annonçai à mon oncle mais il a pris mes propos à la légère. Il me donna 15 000FCFA et je suis allé à mon domicile à Mimboman. J’arrive ainsi à Mimboman à 20 heures sous une forte pluie et ma tante me demanda de prendre mes bagages et de sortir. J’ai voulu m’expliquer mais elle insista ; comme le dit un proverbe : « l’enfant n’a pas raison devant ses parents ». J’ai pris mes bagages, et je suis allé chez mon oncle à Emana. Etant inscrit depuis la rentrée scolaire à Mimboman chez ma tante, j’ai dû me déplacer chaque jour d’Emana (lieu de résidence de mon oncle) pour Mimboman lieu de l’école ; sur une distance d’environ 8 Km. Je m’arrêtais chaque soir au marché d’Etoudi pour vendre les prunes et les plantains afin de subvenir à mes besoins sur le plan financier.

En tant que président du club de philosophie du Complexe d’Emana, Prosper, lisant son beau discours le jour de la fête de Noël 2021 à Emana.

A la rentrée 2020/2021 mon oncle s’est chargé de ma scolarité mais la condition était que je parte vivre chez mon grand cousin et de lui donner des informations sur l’établissement que je souhaitais intégrer. J’avais demandé à un enfant du quartier parce que j’y étais nouveau  et il me parla d’Afrique future Deo Gratias.

Avec mes moyens j’ai pu obtenir une  vieille tenue et des fournitures scolaires que je montrai à mon oncle qui m’a donné 40 000Fcfa. C’est ainsi que je fus inscrit à Deo Gratias. Là bas je fus accueilli majestueusement et l’administration m’a donné le nom de Socrate ; en raison de ma brillante prestation lors de la journée mondiale de la philosophie au cours de laquelle j’ai joué avec beaucoup de prestance le rôle de Socrate.

Mon grand cousin habitait dans une chambre avec sa femme. C’était assez désagréable de vivre dans ces conditions.  J’ai décidé d’aller de résider avec mon beau-frère. On rassemble à la fin du mois nos moyens pour payer le loyer qui nous revient à 15 000FCFA. Pour me nourrir je prépare au feu de bois. Les menus quotidiens sont : le riz sauté, les spaghettis sautés et le maïs braisé. Pour avoir un repas copieux de bonne famille, j’étais obligé d’aller à tous les deuils du quartier.

A la rentrée scolaire 2021-2022, la Directrice Madame Anne-Blandine, a constaté mes retards répétés. Elle m’a interpellé et j’ai dû lui raconter mes misères et le soleil brillait enfin pour moi aussi. Ma scolarité et mes frais de dossiers aux examens sont payés. J’ai tous les livres au programme et tous les cahiers ; et surtout je ne prépare plus au feu de bois mais au gaz. Je ne suis plus « Nyama Nyama »  mais je suis un privilégié.

Je rends grâce à Dieu et je remercie Afrique Future. Je ne peux que redoubler d’efforts pour réussir.

J’ai compris avec les étapes que j’ai traversées, que le tout est de surmonter les obstacles car ils permettent de mûrir et d’apprendre les réalités de la vie.

AMAGNE MGBA Prosper 

Voici le témoignage d’Anne-Blandine Ngo Tigyo, directrice générale des structures d’AFRIQUE FUTURE au Cameroun.

Le 24.09.221 : Le jour de la rentrée scolaire, afin d’accueillir les élèves et leurs familles, je me suis placée près du portail de notre Complexe Scolaire d’Emana. Certains élèves sont arrivés en retard mais l’un d’entre eux s’est manifesté bien après tous les autres. Je l’ai questionné et il m’a répondu qu’il avait participé au coulage d’une dalle la veille et que le matin, il avait dû aller acheter quelques cahiers avec l’argent qu’il avait gagné.

Nous avons pris rendez-vous pour le lendemain afin qu’il me raconte son histoire en détails. Celle-ci m’a fait couler des larmes. Orphelin de père depuis l’âge de 16 ans, il a maintenant 19 ans. S’étant remariée, sa mère, sans emploi, ne pouvait rien pour lui. Depuis 3 ans, il se débrouille comme il peut, enchaînant les petits boulots afin de survivre. Il a trouvé refuge auprès d’un jeune un peu plus âgé que lui et, grâce à ses petits salaires, il parvient à participer aux charges de la chambre qu’ils louent tous les deux mais aussi à gérer ses besoins d’élèves.

Malgré ces conditions de vie difficiles, Prosper est un très bon élève. Il ne s’est pas découragé, il n’a pas tendu la main, il s’est battu avec courage et persévérance pour un meilleur avenir. Il a même déjà payé une bonne partie de son année scolaire avec la sueur de son front. Une telle détermination est exceptionnelle. Alors que les jeunes d’aujourd’hui préfèrent la facilité, lui-même apporte un modèle totalement diffèrent.

J’ai immédiatement pensé : « Il ne sera plus jamais seul à se battre, nous allons le soutenir ».  Nous lui avons acheté de suite les cahiers et les livres qui lui manquaient.  Il fallait le voir comme il tenait en mains son paquet d’affaires scolaires. L’obscurité que j’ai vu dans son regard le premier jour où j’ai posé les yeux sur lui s’est transformée en étoiles. Il a également eu droit à des tickets de ration en attendant de lui trouver une famille d’accueil.

Sur le coup de l’émotion, Rose-Marie notre économe a voulu le prendre chez elle mais elle a « oublié » qu’elle vivait avec ses deux fillettes dans un tout petit appartement. Dans l’urgence, nous avons commencé par lui améliorer son contexte de vie en lui achetant une plaque de cuisson et une bouteille de gaz. Il ne sera plus obligé de préparer son repas sur feu de bois le soir en rentrant de l’école.  Aujourd’hui, Prosper n’arrive plus en retard. Sa scolarité est payée et il ne manque ni de cahier ni de livre.

AFRIQUE FUTURE a pour mission d’offrir à tous les jeunes qui viennent à elle les mêmes armes de réussite. « Le meilleur est ma destinée « telle est la devise que le Père Emanuel leur répète sans relâche « car si le pauvre se positionne parmi les meilleurs, il aura forcément sa place à la table d’honneur ».